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Publié par Littérature et Cie

Paris l'instant
Paris l'instant
Paris l'instant
Paris l'instant

On vient de très bas, du souterrain, quand on sort de la gorge caniculaire du métropolitain. Les travailleurs gardent la cadence, effrénée, par habitude. Soudain, les hauteurs vous saisissent, vous entraînent allègrement vers la cité, ses pierres, ses feuilles, son ciel. Toujours une joie et une chance renouvelées. On monte, on ne discerne pas encore une auto, pas un passant. On sait cependant qu’une existence bourdonne là-haut, c’est le début bourgeonnant de la belle saison. Il faudrait s’arrêter là afin de garder le mystère intact : « On ne tient Paris qu’au moment de sortir du puits. Juste avant. »

Paris avec ses graffitis, ses affiches, ses empreintes à jamais laissées sur les pavés. De l’encre noire des mots.

Quelque chose errait au sein de l’espace ce matin-là. C’est assez confus. Un peu telle une ivresse qui arrive environ deux fois l’an au commencement des beaux jours puis à l’approche de l’hiver. Il régnait une sorte de légèreté. Pas l’euphorie. « Pas le battement de cœur toujours un peu anxieux du bonheur ». Tout vibrait d’un doux contentement depuis la rumeur du trafic jusqu’à la grille posée sous le marronnier. Les choses portent en elles de la félicité parfois.

Ainsi l’échelle des ans glisse-t-elle sur les rampes des escaliers parisiens. D’abord toboggans pour les gamins elles deviennent vite les rampes des amoureux quand les glissades cessent, le temps de vivre. Beaucoup plus tard, on avance à la rencontre de la rampe bienfaitrice afin de la saisir, s’assurer de son support qui rassure. « Les rampes sont faites pour monter. Et pour descendre. »

A peine plus loin, le marionnettiste perpétue nonchalamment ses rites au cœur du square du Luxembourg. Il joue guignol, pourtant semble tellement seul comme si son pouvoir de maintenir l’enfance dépendait de sa capacité à se préserver du monde. Un prix de tristesse, de silence…

Les gargouilles de Notre-Dame nous saluent au passage. On ne songe même pas que la Grande Dame aurait pu ne pas être. Elle nous toise depuis des siècles. Autrefois, digne berceau des miséreux. Aujourd’hui s’y amoncèlent les touristes. « Mais le passé fait les poches au présent »!

Qu’il y a-t-il de plus sensible, de plus fugace qu’une ombre de Paris. Figure lointaine sur l’aurore, sur le mur vierge. Une ombre très ancienne, d’une autre ère qui disparaîtra au moindre souffle de bise « qui tremble cependant de tout garder, de tout savoir. »

Sur les quais, des pages et des images que l’on n’attendait pas mais qui murmurent imperceptiblement lorsqu’on les touche, au hasard. Rendez-vous sensitifs avec la feuille pour des retrouvailles avec soi-même : « chaque homme reste une presqu’île dans les silences du papier. »

Paris déçue par ces clichés banals se contemple sur les présentoirs de cartes postales, car elle possède le don de la réflexion, n’appréciant guère les idées préconçues au sujet de sa poésie. Paris ne se sent pas gardienne de tropes. Elle ne se prend pas au sérieux.

Paris l’instant est un petit recueil de textes au style poétique comme seul sait les écrire Philippe Delerm. Moments arrêtés sur l’aiguille du temps. Son auteur nous suggère l’âme de Paris en lui « volant » inopinément quelques uns de ses gestes, en soulignant son originalité. Les statues du Jardin du Luxembourg sont animées, les rues pensent, les portes chuchotent. Enfin, Paris est une personne au cœur d’un ouvrage à fleur d’émotion, à fleur de choses.

Paris l’instant, Philippe Delerm, photographies de Martine Delerm, éditions Livre de Poche, 154 pages, 5,10 €

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